Götz Aly, "Comment Hitler a acheté les Allemands"

Publié le par comprendreletotalitarisme

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- « Comment Hitler a acheté les Allemands », Götz Aly, édition Flammarion, collection Champs Histoire.

 

Décrire l'État populaire hitlérien, est-ce seulement possible, sachant que beaucoup en contestent déjà l'existence  ? En tout cas, c'est l'objectif que s'est fixé l'historien allemand Götz Aly. A tel point que, dans sa publication originale, l'ouvrage porte l'expression dans son titre (« Hitlers Volkstaat », ce qui pourrait se traduire par « L'État populaire hitlérien »). Mais là ne réside pas exclusivement l'originalité du projet. C'est tout autant au niveau du choix des sources qu'il s'avère innovateur. En effet, pour la plupart, ces dernières se présentent sous la forme de bilans, d'études et de rapports à caractère strictement financier, à l'occasion complétés par des emprunts aux écrits personnels de témoins directs (pour ne citer qu'eux : Goebbels par l'intermédiaire de son journal intime, Klemperer par celle de ses publications postérieures à 1945...).

A la lecture, il faut bien le reconnaître, l'étude de ces éléments se révèle plus féconde que l'on aurait pu s'y attendre. Car il est finalement moins évident d'escamoter une réalité économique, et surtout les choix effectués en matière de gestion quotidienne, actes qui engendrent forcément des traces, que de laisser le temps détériorer, dénaturer, et même éradiquer, une mémoire humaine par nature profondément volatile. En ce sens, l'effort de l'auteur ne peut que porter des fruits non négligeables et, par exemple, déboucher sur une définition irréfutable de constantes applicables au totalitarisme national-socialiste de l'Allemagne de la période 1923-1945.

Une de ces dernières en particulier apparaît d'ores et déjà indiscutable : l'État hitlérien tira sa substance vitale de l'exploitation et de l'éradication de millions d'individus, qu'ils soient vécus comme étrangers à la substance nationale racialiste ou, pire, comme porteurs de germes dangereux pour la salubrité de l'ensemble de la société ; ce dernier cas concernant particulièrement les Juifs, les Tziganes et, de manière subsidiaire, les populations slaves. En ce qui concerne cette thématique précise, Götz Aly démontre avec brio la validité de l'affirmation. Car il est indéniable que le système financier mis en place au sein de l'Europe occupée, voir au sein même des territoires alliés au Reich, tendait à pressurer richesses et capacités productives afin de permettre la continuation du conflit armé, et donc l'entretien du gigantesque complexe militaro-industriel qu'était alors devenue l'Allemagne. Frais d'occupation démesurés, réquisitions généralisées, spoliations abusives et tout aussi massives, extermination et captation des biens des propriétaires nationaux ou étrangers prennent ainsi tout leur sens, celui d'actes en définitive destinés à placer la population germanique à l'abri des contingences matérielles affectant les autres peuples, à présent ravalés au rang d'une horde d'esclaves en puissance.

Cette dernière innovation dans l'interprétation historique de ce que porta en lui le nazisme, second axe de l'étude de l'historien d'outre-Rhin, n'est pas aussi unanimement acceptée que les conclusions précédentes. L'aspect socialiste du régime prête, il est vrai, à polémique tant nous avons tendance à considérer cette forme de manifestation totalitaire comme une monstruosité d'avidité et d'inhumanité. Mais si, en effet, certains faits plaident fortement en faveur de cette interprétation, par exemple le programme T4 d'élimination des handicapés ou la promotion d'une « solution finale à la question juive », il n'en demeure pas moins que l'idéologie hitlérienne a toujours laissé une place à part au peuple et à l'espace germanique, ce « volk » et ce « Reich » que la propagande nationale-socialiste affectait de placer au cœur d'une réalité nationale empreinte de souffrance collective depuis l'humiliante défaite de 1918 et l'invalidation du modèle étatique bismarkien qui s'ensuivit. En ce sens, il peut être juste de voir en elle la synthèse privilégiée de puissantes pulsions rétrogrades de préservation, émanant de classes sociales situées à la Droite du spectre politique national, et d'un viscéral désir populaire de ne plus endurer les injustices sociales imposées par les élites possédantes et les profiteurs de guerre.

Ce socialisme là, intimement national par nature, voir violemment nationaliste, n'est en fin de compte pas sans écho à Gauche. Le radicalisme marxiste de Staline et de ses suppôts peut lui aussi se voir ainsi interprété. Et c'est finalement ce qui pose problème et ne cesse de faire débat. Car nombre de spécialistes rejettent cette supposée filiation que d'autres, au contraire, choisissent de mettre en avant (Ernst Nolte, "Les fondements historiques du national-socialisme") avec pour dessein avoué de rendre évidente une certaine parenté idéologique ou politique entre totalitarisme « de Gauche » et totalitarisme « de Droite ». Pourtant, il faut être honnête, ce n'est apparemment pas le cas de Götz Aly dont la pensée ne va jamais aussi loin. Lui se borne tout simplement à constater que le peuple allemand dans son ensemble profita sans vergogne de la manne constituée par le produit des rapines de la Wermacht et de l'administration d'occupation. Qu'à ce titre il ne consentit jamais à fournir des efforts que ses ennemis, eux, n'hésitèrent pas à accepter. Que le pouvoir national-socialiste, lui-même, se plaça d'emblée dans une optique de soutien constant aux classes les moins favorisées, ouvriers et paysans, petits fonctionnaires et commerçants... et ce au détriment des élites fortunés, des grosses entreprises et des combinats industriels capitalistes qui, tous, durent s'accommoder d'une fiscalisation accrue de leurs bénéfices.

Peut-on pour autant arguer que le totalitarisme hitlérien fut aussi une forme de socialisme, certes dénaturée et pervertie, mais tout de même dépositaire d'un idéal égalitaire et généreux ? A ce niveau, la réponse ne peut qu'être négative. Le nazisme, s'il cajola les masses, le fit surtout par pragmatisme politique. Par recherche d'un consensus synonyme de soutien populaire, et donc de préservation du régime. En aucun cas, la recherche d'un équilibre social ou d'une redéfinition égalitariste de la société ne constituèrent les socles de cette idéologie toute entière bâtie sur une vision simpliste et immature de la réalité historique. C'est d'ailleurs un piège interprétatif dans lequel Götz Aly se garde bien de tomber. Il faut le reconnaître et ainsi le dédouaner de l'accusation facile qui consiste à le voir comme un simplificateur aux ambitions révisionnistes. Car mettre en évidence des similitudes philosophiques entre divers mouvements ne suggère en rien un quelconque alignement idéologique commun mais témoigne bien plutôt de la convergence des pulsions totalitaires au sein d'un genre humain alors en complète révolution.

Ainsi donc, Hitler a bien tenté d'acheter les Allemands. Leur silence et leur soutien surtout. Cependant, tirer de cette étude, rondement et proprement menée, la conclusion finale que le totalitarisme allemand prend exclusivement source dans le traumatisme national consécutif au Traité de Versailles apparaît au minimum hasardeux. Cet événement politique et historique, quelle que puisse se révéler par ailleurs la puissance de ses effets délétères, ne peut en effet se voir sérieusement considéré comme l'alpha et l'oméga du processus psychotique ayant abouti à l'établissement d'un mode de gestion politique de type totalitaire. Car de nombreux faits, facteurs et événements peuvent aussi avoir eu une influence pernicieuse sur une communauté germanique en plein désarroi. Et notamment dans une Allemagne aux mœurs profondément réactionnaires, il n'est qu'à penser à ce fameux militarisme prussien qu'on évoque souvent, et dont la structuration socio-politique traditionnelle ne convenait plus aux nouvelles réalités du monde moderne.

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P
La question se pose de savoir si c'est leur véritable "cavalerie" financiere qui a "fait boule de neige" jusqu'a l'absurde.Ou si c'est l'escalade des crimes qu'exigeait leur exploitation de l'antijudaïsme, de l'eugénisme.<br /> Le point commun, c'est le secret (contrairement a ce qu'il en était de leur chauvinisme militariste). Les nazis ne se réclamèrent pas plus de la methode du déficit public que celle de l'extermination (des 1934, l'Allemagne ne publie plus son budget: Götz Aly)<br /> Michel piquet
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